« Le Tchad a une réputation de faire la paix ailleurs. Pourquoi pas chez lui !», dixit Djekourninga Kaoutar Lazare

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Le Vice-président de l’Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (ATPDH), par ailleurs, Directeur de la radio Fm Liberté, a accordé une interview au journal, Le Roseau à son bureau, au quartier Chagoua, dans le 7ème arrondissement municipal de N’Djamena. Les sujets que nous avons abordés sont entre autres, les conflits agriculteurs-éleveurs, les vols à mains armées, la répression des manifestants pacifiques, la recrudescence de l’insécurité sur toute l’étendue du territoire national. M. Djekourninga Kaoutar Lazare, dans une langue de bois, rejette la responsabilité des violations massives des droits humains sur les autorités administratives.

Le peuple tchadien vit dans une insécurité permanente : conflits agriculteurs-éleveurs, conflit intercommunautaire, enlèvement des personnes contre rançon, vol à mains armées, répression des manifestants pacifiques … En tant que vice-président de l’ATPDH, quelle appréciation faites-vous de cette situation?

D’abord, le rôle d’un Etat est d’assurer la sécurité des personnes et leurs biens. Cela veut dire que l’Etat doit assurer la sécurité des Tchadiennes, Tchadiens et leurs biens à l’intérieur de 1 284 000 km2 et sécuriser les frontières pour éviter l’infiltration des malfaiteurs qui viennent assassiner les compatriotes et arracher leurs biens et repartir. Mais c’est comme si nous ne sommes pas dans un Etat où il y a un gouvernement. Alors quand on parle d’un Etat, cela veut dire que nous avons un territoire qui a une superficie de 1 284 000 km2, une population qu’on estime 16 000 000 d’habitants, un gouvernement. Nous avons alors les trois éléments constitutifs d’un Etat. Les pouvoirs publics doivent maintenant mettre en branle ces trois concepts pour que nous soyons en sécurité. Mais c’est impensable, par exemple l’enlèvement des personnes contre rançon, des vols au-delà des frontières, comme ce qui se passe précisément dans le Mayo-Kebbi Ouest est aberrant. Cela fait quinze ans que ce phénomène se passe sous la barbe du gouvernement, alors que le Tchad a une réputation de faire la paix ailleurs. Pourquoi ne peut-il pas assurer la sécurité chez lui-même ? Les petits bandits qui narguent les forces de l’ordre, cela ne se comprend pas. Cela veut dire que les représentants de l’Etat dans certaines zones font des affaires. Sinon, comment ne peuvent-ils pas les contenir ?  Je vous donne un exemple concret : quand j’étais dans le Mayo-Kebbi, il y a de cela plus trente ans, il y avait des coupeurs de route qui avaient attaqué les commerçants qui revenaient de Pala. Ce phénomène a commencé dans les 90-91. J’avais mobilisé les forces de l’ordre et avec le concours des chefs traditionnels, nous avons mis la main sur eux. Grace à cette collaboration, nous avions pu circonscrire cela. Pourquoi ne pouvons-nous pas faire maintenant ? Est-ce que ces malfrats agissent de connivence avec les autorités administratives ? Sont-ils de connivence avec la population et les autorités traditionnelles ?

Il faut que les pouvoirs publics examinent tout cela. En ce qui concerne le conflit éleveur-agriculteur, à l’orée de l’indépendance, en 1959, il y a une loi portant nomadisme au Tchad. Les couloirs de transhumance existent mais ces couloirs sont émiettés par l’installation de nouveaux villages à cause de la croissance de la population. L’Etat doit trouver une solution à ce conflit. Mais il n’a pas la volonté de le faire. En ce moment, ce sont les champs, les plantations de manioc qui sont devenus de cultures fourragères pour le bétail, car les éleveurs font paître leurs animaux dans les champs.

 Voulez-vous dire que les nominations à des postes de responsabilité ne répondent pas au critère ?

Depuis 1990, l’Etat tchadien nomme des gens (que l’on appelle personnalités mais moi je dis des gens) qui n’ont pas de profile. Un administrateur qui ne connaît pas la superficie du Tchad, qui ne peut pas situer sa circonscription administrative, qui ne peut pas connaître le nombre d’habitants de sa conscription administrative, est-il un administrateur ? Il y a des gens formés comme administrateurs qui sont-là. Un administrateur qui ne peut pas chanter l’hymne national du Tchad, mérite-t-il d’être administrateur et commander les gens ?

Après la mort du Maréchal Idriss Deby Itno (MIDI) le 20 avril 2021, un Comité de transition a été mis en place. Nous osons croire que le CMT marche sur le pas de Deby. Ne peut-on pas dire que le CMT est en train de conduire le Tchad tout droit dans le gouffre ?

Mais prenez la première photo du CMT, les quinze généraux, quand vous regardez, c’est comme s’ils sont venus par la force. Comment sont-ils sur la photo ? C’est pour nous prouver que c’est par la force qu’ils sont-là. Deby, paix à son âme. Il a fait ce qu’il pouvait faire. Tout le monde a contribué à la déliquescence de ce pays. Un homme ne peut pas être le seul comptable. Nous tous, les ministres, les députés, les conseillers, tout le monde est comptable à certain degré. On pensait qu’avec la disparition de MIDI, cela allait changer, malheureusement, c’est maintenant qu’on va vers le pire. Dès lors qu’on porte une arme, les insignes de la République à l’épaule gauche, on doit respecter les symboles de la République.

Si les militaires eux-mêmes ne respectent pas la tenue, ne respectent pas le bleu-jaune-rouge à leur épaule gauche, nous ne pouvons pas aussi les respecter. Ils doivent absolument respecter car c’est la République. L’arme qu’ils détiennent, c’est une arme de guerre et n’importe qui ne peut pas détenir une arme de guerre. Ceux qui prétendent nous gouverner aujourd’hui, sont des professeurs d’universités qui nous ont enseignés. L’arrêt Houphouët Boigny par rapport à la liberté publique, à la liberté de manifester, cet arrêt est un arrêt de principe. Quand une autorisation est accordée, on n’a même pas besoin d’une autorisation pour manifester. Les organisateurs doivent informer l’autorité publique qui examine le bien fondé et mobilise les forces de l’ordre pour encadrer la marche. C’est ce qui doit se faire. Est-ce qu’on fait cela dans ce pays ? On autorise la marche et après on vient tirer des gaz lacrymogènes sur les manifestants, parfois on tire à balles réelles. Est-il normal ?

Alors, avec la recrudescence de l’insécurité, peut-on encore croire à l’organisation du dialogue national inclusif ? 

Le dialogue national inclusif, alors j’étais très jeune quand on a commencé avec la conférence de Doyaba sous Tombalbaye, après sous Malloum, Lagos I, Lagos II et Khartoum qui a fait rentrer Hissène Habré à N’Djamena. On a Libreville, Brazzaville … Et dernièrement nous avons la conférence nationale souveraine de 1993. Il faut ajouter les deux foras concoctés selon la volonté de Deby. Qu’est-ce que cela a donné ?  Les gens diront que je suis pessimiste, mais est-ce que cela va marcher ? Nous avons encore les images de colère et de deuil partout au Tchad. Prépare-t-on vraiment bien ce dialogue ? Sinon les gens sont en train de s’offrir les possibilités pour piller les caisses de l’Etat à travers les missions d’expertise à l’extérieur ou bien dans les pré-dialogues et autres. Il n’y a vraiment pas un travail de fond. Si on veut aller au dialogue, il faut qu’on parte dans le Tchad profond pour demander à l’éleveur, à l’agriculteur, ce que chacun veut. Que ces gens donnent leur point de vue à travers leurs représentants. Mais si les gens en costume et cravate se retrouvent dans le salon pour décider, je pense même si on tient ce dialogue, il n’y aura pas la mise en œuvre exacte des conclusions. D’ailleurs, j’étais à une journée de réflexion, il y a moins d’un mois, certaines personnes disent que les débats vont commencer à partir de l’année 1993, l’année de la conférence nationale souveraine. Je leur ai dit mais nous ne marchons pas sur la tête ou sur les pieds ? Le Tchad ne commence pas à partir de 1993. Les Français ont commencé à conquérir le Tchad à partir de 1890. De 1890 à nos jours, qu’est-ce qui s’est passé ? Il serait souhaitable de se replonger dans l’histoire du Tchad pour voir qu’est-ce que l’histoire  peut nous amener à façonner un Tchad meilleur, pour ne pas escamoter les choses.

Les assassinats répétitifs ne sont-ils pas dus à la défaillance de la justice ?

La justice est le troisième pouvoir. Mais ici au Tchad depuis le régime de Deby jusqu’aujourd’hui, on mélange les affaires familiales avec celles de la République au point que la justice elle-même est embarrassée. Les magistrats sont là, mais quand ils veulent dire le droit, on les menace ou on les tue. La fois dernière, on a abattu un magistrat à Abéché. Sommes-nous vraiment dans une République ? On ne peut dire le droit lorsqu’on est en sécurité. Mais ces femmes et ces hommes sont-ils en sécurité ? Les gens disent qu’ils sont corrompus mais on doit voir d’abord la question de leur sécurité.

Ne serait-il pas important d’intensifier la campagne de sensibilisation sur la cohabitation pacifique ?

La sensibilisation, nous le faisons tous les jours. L’éducation civique, la sensibilisation, nous le faisons à travers la formation en droits de l’homme. Mais nous ne sommes pas accompagnés par les pouvoirs publics. Le Président de la république, le gouvernement, l’Assemblée nationale, est-ce que ces institutions sont prêtes à instaurer la paix au Tchad. C’est la question que je me pose. Si les gens sont prêts pour instaurer la paix au Tchad, la marche du 15 février 2022 a été autorisée. Pourquoi ont-ils tiré sur les gens ?

Depuis l’avènement democratique en 1990 au Tchad, les défenseurs des droits humains ont organisé des campagnes de sensibilisation sur la cohabitation pacifique. Mais cela a peu d’impact sur la population. Peut-on dire que les droits de l’homme sont un vain mot au pays de Toumaï ? 

Si les défenseurs des droits humains ne font pas ce travail, tout serait par terre.

Changer les mentalités, le comportement de l’homme n’est pas chose facile. Si aujourd’hui, avec Fm Liberté qui est la radio des droits de l’homme, les gens viennent dénoncer le comportement de certaines autorités administratives, traditionnelles et militaires, c’est grâce au travail des défenseurs des droits humains. Ils ont appris aux citoyens à connaître leurs droits et devoirs. C’est un travail de longue haleine et cela avance, même si cela va à un rythme très lent. Si on prend un cabri d’autrui et que la personne vient dénoncer ou porter plainte, cela veut dire que nous avons réussi à faire comprendre aux gens quels sont leurs droits et devoirs. Or cela ne se faisait pas avant.

Votre dernier mot

Je souhaite que les pouvoirs publics tiennent bien les rênes du pouvoir, qu’ils pensent à ce Tchad. Le Tchad a rendu les uns et les autres plus riches que lui-même. La plupart de ces gens sont de ma génération. Ils ont des petits fils et des petits frères, que laisserons-nous comme héritage à ces jeunes. Je veux conclure par une partie de la comédie de l’Ivoirien, Adama Dahico qui a dit : « son père est mort, mais sa mère est décédée.» On lui a posé la question pourquoi il dit cela. Il a répondu : « mon père est mort par ce qu’il n’a rien laissé comme héritage, mais ma mère est décédée par ce qu’elle a laissé des marmites et pagnes à ma petite sœur ».

Entretien réalisé par

Bakari Oumarou

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